Après son adoption à l’arrachée par l’Europe et le Canada, au terme d’un bras de fer avec la Wallonie, l’accord commercial CETA s’apprête à entrer dans une année 2017 cruciale. Il sera en effet soumis en février au Parlement européen, avant d’être éventuellement renvoyé vers les parlements nationaux des 28 Etats européens, dont l’Assemblée nationale.
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Il est donc temps pour les institutions et responsables politiques français de s’intéresser au détail du contenu de cet accord, en dépassant les positions de principe et les procès d’intention. Ce qu’a fait avec sérieux la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans un avis adopté à l’unanimité (moins quatre abstentions) le 15 décembre, dont Le Monde a pris connaissance.
Cette autorité indépendante, qui contrôle notamment les engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme, a passé au crible les 2 344 pages du CETA et auditionné une dizaine de personnalités pour savoir s’il était conforme aux droits humains, sociaux et environnementaux. Il en ressort une série de 35 recommandations censées améliorer le contenu de l’accord, qui arrivent malheureusement un peu tard, car ni la France ni la Commission européenne, cheffe de file des négociations, ne sont déterminées à rouvrir la négociation comme le réclame la CNCDH.
Voici quelques-uns des points saillants de l’avis :
* L’impact économique
La CNCDH regrette que la seule étude d’impact du CETA soit ancienne (2008) et peu précise (elle ne détaille pas les effets attendus de l’accord par pays et par secteur). La hausse attendue de 0,08 % du PIB est donc à ses yeux une prédiction insuffisante pour que “les décideurs politiques et les citoyens puissent décider en connaissance de cause de l’intérêt de la signature d’un tel accord”. La commission fait d’ailleurs le même constat sur les conséquences de la libéralisation des échanges sur l’évolution des standards de protection sociale, qui n’a jamais fait l’objet d’aucune étude fouillée.
* La protection de l’environnement
Comme beaucoup d’observateurs, la CNCDH regrette que les dispositions du CETA relative au développement durable “relèvent de la généralité et des bonnes intentions” et ne soient pas contraignantes, malgré les appels en ce sens du Parlement européen. Elle aurait préféré que l’énergie fasse l’objet d’un chapitre séparé, “permettant alors d’inscrire dans l’accord des engagements en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre, et autorisant explicitement les Parties à promouvoir les investissements dans le secteur des énergies propres”. Elle craint ainsi que l’accord s’avère contre-productif par rapport aux objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat en 2015.
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* La coopération réglementaire
La CNCDH est très réservée sur ce processus qui permettra aux Canadiens et aux Européens de discuter en amont de leur processus de régulation, avec une participation des lobbys et de la société civile. Elle craint l’ingérence “des gouvernements en défense des intérêts de leur industrie” et de “l’industrie”, qui pourrait avoir deux conséquences :
* L’allongement et la complexification des processus d’élaboration des lois et réglementations
* La disqualification des considérations sociétales, politiques ou morales parmi les critères d’élaboration
La commission réclame donc une clarification du rôle dans ce processus du “Parlement européen, et si possible, [des] parlements nationaux lorsque leur législation est concernée”.
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* Le respect des droits sociaux
L’avis de la CNCDH s’interroge sur l’effectivité des conventions internationales de l’OIT sur les droits des travailleurs qui sont mentionnées dans le CETA. D’une part, parce que la formulation juridique suggère que leur application pourrait ne pas être contraignante. D’autre part, parce qu’il n’existe aucun mécanisme de sanction en cas de violation de ces principes par l’Europe ou le Canada. Pour la commission, c’est “une occasion manquée d’aller plus loin dans la mise en œuvre effective du droit international”.
L’avis regrette également que le CETA n’intègre pas de cadre contraignant sur la responsabilité sociale des entreprises, “qui prévoirait des sanctions en cas de non-respect des droits de l’homme”.
* Les tribunaux d’arbitrage
Comme nous l’avons déjà écrit, le système d’arbitrage investisseurs-Etats du CETA, bien que réformé, ne remplit pas toutes les conditions pour être considéré comme une cour publique. “Bien que la forme change, […] les règles de procédures restent inchangées”, souligne la CNCDH, qui réfute l’idée selon laquelle le nouveau système est “un changement radical dans le traitement des différends entre investisseurs et Etats”. Elle s’élève ainsi contre l’utilisation impropre du mot “juge” pour qualifier les membres du futur tribunal du CETA, car ils “ne relèvent pas d’une magistrature indépendante”, ils ne seront ni “nommés par une administration juridique indépendante” ni prémunis sérieusement contre les conflits d’intérêts, en l’absence de code de conduite contraignant.
La CNCDH soulève un autre problème plus inédit sur le tribunal d’appel, qui est présenté comme l’une des grandes avancées du CETA. Celui-ci pourrait être incompatible avec la convention de Washington sur l’arbitrage, qui précise que toute sentence arbitrale est définitive, excluant de facto la possibilité d’un appel. Le tribunal d’appel ne verra-t-il donc jamais le jour ? Pour prévenir cette éventualité, la CNCDH recommande de consulter la justice européenne sur cette question avant la ratification du CETA pour en avoir le coeur net.
Enfin, l’avis de la commission revient sur une limite bien connue de l’arbitrage d’investissement : le fait qu’il ne fonctionne que dans un sens (les investisseurs attaquent les Etats, et pas le contraire). Pour rééquilibrer le mécanisme, le rapport suggère de rendre les entreprises responsables de leurs actes en matière sociale et environnementale devant le tribunal arbitral, afin que les Etats ou de tiers parties puissent les poursuivre en cas de manquement.
* L’application provisoire de l’accord
La majeure partie du CETA pourra s’appliquer provisoirement dès son adoption par le Parlement européen, avant le vote des parlements nationaux des 28 Etats européens. Une procédure qui, bien que classique, est critiquée par la CNCDH. Pour elle, “il s’agit d’une imposition de fait du traité”, car les parlements nationaux “seront dans une situation de non-retour où l’accord qui leur est proposé aura déjà commencé à produire des effets”.

http://transatlantique.blog.lemonde.fr/2016/12/15/accord-ceta-les-mises-en-garde-de-la-commission-des-droits-de-lhomme/