BONHEUR, SENS DU TRAVAIL ET RAISON D’ÊTRE : LE REGARD DES SALARIÉS FRANÇAIS SUR L’ENTREPRISE

82% des salariés considèrent que l’entreprise est responsable de leur bonheur. Alors qu’à Davos, les grandes entreprises multiplient les engagements planétaires, un sondage IFOP pour Philonomist montre que les salariés français demandent à l’entreprise de se recentrer sur ses missions premières, de « cultiver son jardin ». Ils expriment en même temps une forte demande, insatisfaite, de bonheur, de reconnaissance, d’association aux décisions, et de sens.

Pour les Français, ce n’est pas à l’entreprise de résoudre les dérèglements mondiaux. Ils jugent, à une écrasante majorité, l’Etat plus crédible face au réchauffement climatique, aux inégalités, ou à la pauvreté. Quant à la « raison d’être », promue par la loi Pacte, ils en ont aussi une vision très classique : avant tout « servir ses clients » (35%) ou « faire du profit » (34%), mais 12% toutefois répondent « rendre le monde meilleur ».

Les salariés français seraient-ils des disciples de Milton Friedman, qui pensait que « la seule et unique responsabilité sociale de l’entreprise, c’est d’accroître ses profits » ? Ce serait faire une lecture très partielle car les répondants expriment aussi une grande frustration, et une très grande demande inassouvie de bonheur, de reconnaissance, d’implication et de sens.

Frustration d’abord : 49% se disent parfois amenés à agir contre leurs valeurs, 46% se disent parfois infantilisés par leur hiérarchie. Et si l’on transpose la vision du travail de Hannah Arendt dans la Condition de l’homme moderne, entre le « labeur » (aliénant car toujours recommencé), l’« œuvre » (dont le résultat est visible), et l’« action » (qui change le monde), 28% seraient dans le labeur, « pris dans un flux dont ils ne voient pas le résultat ».

Mais cette frustration est l’envers d’une attente considérable. 82% estiment l’entreprise responsable du bonheur de ses salariés. Or cette attente n’est pas purement hédoniste : elle est associée à un engagement dans le collectif. Ainsi 77% voudraient que l’entreprise fonctionne comme une démocratie pour ses salariés, et 58% s’estiment liés à l’entreprise au-delà du contrat de travail. Enfin, 37% seraient prêts à gagner moins en échange d’un travail qui ait un sens.

Ces résultats confirment l’expérience rencontrée sur le terrain, en entreprise, par Philonomist.lab. Faire entrer la philosophie en entreprise n’est plus perçu aujourd’hui comme une étrangeté, mais plutôt comme une nécessité. Les collaborateurs demandent à être traités en adultes, à débattre de la finalité de leurs actions, et plus seulement à exécuter. De leur côté les directions veulent partager le savoir et inciter les collaborateurs à poser les bonnes questions.

Plaidoyer pour un numérique au service de l’environnement

 

La révolution numérique bouleverse nos entreprises et transforme radicalement nos modèles. Cette évidence, inconcevable il y a 20 ans, est irréversible : sans numérique, le monde ne fonctionne plus. Pour ceux qui, comme moi, ont fait de cette transformation leur combat, c’est une victoire.

Ces transformations à grande vitesse alimentent pourtant les fantasmes d’une alinéation de l’Homme par les nouvelles technologies. Cette défiance, bien que stérile et menaçant même les nouveaux horizons offerts par la technologie, doit nous alerter. Car pèsent aujourd’hui sur les acteurs de la transition numérique des responsabilités qui vont de pair avec le rôle qu’ils jouent désormais, notamment sur l’environnement. Alors que la COP25 s’est achevée sans avancée majeure, il est indispensable de quitter la sempiternelle case diagnostic pour passer à l’action, et vite.

Le numérique est tout d’abord un formidable outil au service de la transition écologique. Il est le levier indispensable d’une économie décarbonée. Les acteurs du numérique proposent chaque jour des solutions innovantes pour aider les industries et les territoires dans leur trajectoire-environnement. Les résultats sont là. Syntec Numériquea conduit une étude avec le groupe Caisse des Dépôts et les pôles de compétitivité Advancity et Systematic Paris-Région qui mesure concrètement les retombées socio-environnementales du numérique dans 5 projets de « ville intelligente ».

Au-delà de la technologie, le numérique a permis de faire émerger de nouveaux modèles économiques, davantage fondés sur l’usage que sur la possession, sur le service que le produit. Ces fondements sont ceux d’une économie circulaire au service de l’environnement et d’une croissance plus durable.

Mais le numérique doit aussi balayer devant sa porte en réduisant son empreinte environnementale. S’il est difficile de mesurer cet impact sur l’environnement, celui-ci est incontestable.

The Shift Project chiffre à 4% sa part dans les émissions de gaz à effet de serre et anticipe un potentiel doublement de cette part d’ici 2025. Le numérique joue aussi un rôle dans l’épuisement des ressources naturelles et la pollution de l’air et du sol du fait de l’extraction des matières premières et de leur transformation en composants électroniques.

La multiplication des objets numériques, leur cycle de vie et l’usage que nous en faisons génèrent donc un impact négatif croissant sur l’environnement. Pour contrer cette tendance, nous en appelons autant à la responsabilité des utilisateurs qu’à celle des industriels du hardware et du software. Il faudra donc jouer sur ces deux leviers.

Accompagner les utilisateurs signifiera sensibiliser et « acculturer » les citoyens quant aux conséquences sur l’environnement de leurs comportements numériques. La tâche ne sera pas aisée. Selon un sondage de l’Observatoire du Numérique BVA/Digital Society Forum en 2019, seuls 27 % des Français se considèrent bien informés concernant l’impact du secteur sur l’environnement. Cet effort d’information et de pédagogie est indispensable pour que les utilisateurs du numérique puissent faire évoluer correctement leurs usages.

Accompagner les industriels impliquera de les fédérer. Dès la COP21, les industriels du numérique se sont mis en marche pour mesurer et réduire leur impact. Néanmoins, ces initiatives, bien que nombreuses, demeurent encore trop individuelles et n’embarquent pas toutes les entreprises, notamment le tissu des PME et TPE.

C’est pourquoi, nous avons décidé de mobiliser nos 2000 entreprises adhérentes pour partager leurs bonnes pratiques, réduire leur empreinte environnementale et travailler à la construction d’un indicateur référent pour le secteur.

Cette démarche traduit un engagement politique fort du secteur pour un numérique plus inclusif, plus éthique et plus éco-responsable.

Comme nous le rappelle le célèbre essayiste environnementaliste Pierre Rabhi, « nous devons ensemble faire notre part » pour faire converger les transitions numérique, sociétale et environnementale.

Nous nous devons d’être les premiers concernés. C’est cette exemplarité qui nous permettra d’accompagner de manière crédible les autres secteurs de l’économie vers un modèle plus durable.

Catégories : Opinions

A lire aussi : [Dossier] Ethique & Numérique : des entreprises plus responsables ?

A lire aussi :Six solutions pour répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux

https://www-alliancy-fr.cdn.ampproject.org/c/s/www.alliancy.fr/opinions/entreprises/2020/01/27/plaidoyer-pour-un-numerique-au-service-de-lenvironnement/amp

Non, il ne faut pas combattre la «fracture numérique»

Non, il ne faut pas combattre la «fracture numérique»

Par Taoufik Vallipuram (Libération)

L’emploi de ce concept pointe un mal que seules des solutions numériques seraient à même de soigner… alors que le problème se situe dans le rapport à l’école, à l’information ou dans la réduction des effectifs de la fonction publique.

Tribune.Popularisé en 1996 par Bill Clinton qui parle de «digital divide»,le concept de «fracture numérique» est dès ses origines marqué par une forte empreinte idéologique et s’inscrit en France dans la lignée de la «fracture sociale». Bien que contestée par la plupart des chercheurs, la notion revient fréquemment dans le débat public. L’emploi abusif de cette expression est loin d’être sans conséquence. C’est ce que nous démontrons à l’issue de l’exploration Capital numérique, une étude qui s’est intéressée aux pratiques numériques d’habitants de quartiers prioritaires.

Parler de fracture numérique, c’est adopter une vision simpliste, binaire et donc tronquée de la réalité. Il y aurait d’un côté des inclus et de l’autre des exclus. Pourtant, le manque de sensibilisation aux enjeux de la société numérique est généralisé. Comprendre pourquoi il faut maîtriser ses traces sur Internet, son identité numérique, protéger sa confidentialité, et être ensuite capable de le faire. Ce sont autant d’actions qui dépassent tous les Français, alors même que leurs pratiques numériques ne cessent de se diversifier, y compris dans les classes populaires.

Les habitants des quartiers «Politique de la ville» que nous avons rencontrés au cours de l’étude Capital numérique ne sont pas en reste. Facebook, Snapchat ou WhatsApp sont utilisés tant pour communiquer, s’informer que pour apprendre au quotidien, même par des personnes ne sachant ni lire ni écrire. Certains habitants rencontrés se rendent sur YouTube pour apprendre le français. Est-ce à dire que ces habitants ne rencontrent pas de difficultés quand ils ont recours à certains services numériques ? Non, évidemment. Mais leurs difficultés ne sont pas celles que l’on croit. Rémi, 24 ans, né en France, ne parvient pas à retrouver ses mots de passe ni à accéder à ses nombreuses boîtes mails sur son smartphone. Pourtant, il utilise tout aussi bien sa PlayStation 4 pour jouer que pour accéder à des services en ligne comme Netflix. Ce qui est le plus bloquant pour lui, c’est d’être isolé. Il ne travaille pas et a peu d’amis : il a un usage très occasionnel des mails et des messageries instantanées. Pour Makatouch, travailleur migrant de 37 ans, ce n’est pas son réseau de sociabilités qui pose problème. Il cumule deux activités professionnelles et vient de lancer une chaîne YouTube proposant une actualité différente sur son pays d’origine. Pourtant, il a besoin d’aide pour demander le renouvellement de son titre de séjour en ligne. Sa principale difficulté, c’est de lire et écrire en français.

Parler de fracture numérique, c’est pointer du doigt un mal que seules des solutions numériques seraient à même de soigner. Mais ce n’est pas le numérique qui renforcera la confiance de Rémi et Makatouch en eux-mêmes, et encore moins à l’égard des institutions. Même constat avec des collégiens et collégiennes de 9 à 14 ans. Pour eux qui maîtrisent Wikipédia mais ne voient son utilité que dans un cadre scolaire (comme le dictionnaire), les difficultés ne sont pas d’ordre numérique. Elles tiennent d’abord au rapport à l’école et à l’information. Ainsi, les collégiennes interrogées affirment ne pas lire alors qu’elles passent des heures sur l’application Wattpad, à lire des nouvelles de plus de quinze chapitres. Les maux sont plus profonds ; ils sont ancrés dans leurs représentations. Pour espérer y répondre, on ne peut pas se contenter de distribuer des tablettes dans les collèges. On ne peut pas agir en surface.

Parler de fracture numérique, c’est donc essentialiser les difficultés et supposées lacunes des personnes sans interroger les mécanismes de leur (re) production. On place les dysfonctionnements du côté des utilisateurs, pour lesquels on déploie des programmes d’«inclusion» et de «pédagogie», sans s’intéresser à la façon dont les services, interfaces et dispositifs d’accompagnement numérique sont conçus. Prennent-ils en compte les situations des personnes ? Répondent-ils à leurs besoins ?

Prenons l’exemple de la dématérialisation. Loin de simplifier les démarches administratives, elle numérise leur complexité. L’écrit est toujours prépondérant, le langage administratif, complexe, et les interfaces peu ergonomiques. Cette numérisation-là, doublée d’une fermeture progressive des guichets d’accueil physiques, génère de la solitude et de l’anxiété pour des millions de citoyens qui ont besoin d’être rassurés. Avec pour conséquence le non-recours à leurs droits.

Le corollaire de cette dématérialisation, c’est un recours de plus en plus fréquent à des volontaires en service civique, des travailleurs de courte durée et parfois même des bénévoles pour faire de la «médiation numérique» – au guichet ou lors de formations ad hoc. Sur le terrain, ces aidants viennent surtout en renfort des travailleurs sociaux débordés par la réduction des effectifs et l’envol de leur périmètre d’activité sur un volet «numérique» qu’ils maîtrisent peu. Mais sont-ils seulement armés pour ? Leur manque de formation aux enjeux du numérique, au travail social, aux démarches administratives et à la pédagogie ne leur permet pas de véritablement autonomiser les personnes.

C’est pourquoi nous demandons une politique ambitieuse de maillage du territoire par des lieux physiques avec un accueil par des professionnels, formés au métier. Car dans une société qui se numérise à marche forcée, l’accompagnement numérique ne peut pas s’improviser. Surtout, nous appelons à une véritable éducation aux enjeux de la société numérique tout au long de la vie, qui ne se limite pas à savoir utiliser quelques outils ou services numériques. Car comprendre les enjeux de la numérisation de la société, c’est avoir les clés pour moins la subir.

Taoufik Vallipuram cofondateur du Lab Ouishare x Chronos et Connector Ouishare. Bénévole associatif au sein de quartiers populaires.

https://www-liberation-fr.cdn.ampproject.org/c/s/www.liberation.fr/amphtml/debats/2019/12/29/non-il-ne-faut-pas-combattre-la-fracture-numerique_1771308