L’esclavage moderne: le point sur notre approche de dialogue

Dans notre dernier numéro de Point de vue sur l’esclavage moderne1, nous avions souligné qu’en tant qu’investisseurs de long terme, nous encourageons les entreprises, en particulier celles des secteurs à haut risque, à identifier et à maîtriser les risques liés à l’esclavage moderne. Nous estimons que les entreprises qui prennent des mesures énergiques pour lutter contre l’esclavage moderne sont plus solides dans la durée et moins susceptibles de souffrir de préjudices financiers et d’atteinte à leur réputation.

Notre dialogue avec les sociétés en 2018 avait mis l’accent sur les entreprises tenues de publier des déclarations sur l’esclavage moderne conformément au Modern Slavery Act 2015, une loi britannique de référence sur l’esclavage moderne. Depuis l’introduction de cette loi, la législation sur l’esclavage moderne a progressé dans un certain nombre de pays, dont l’Australie, le Canada, la France et les Pays-Bas. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence l’importance de la législation relative à l’esclavage moderne: en temps de crise, les victimes de ce fléau sont davantage exposées au risque d’exploitation, la vulnérabilité face à l’esclavage augmente et les initiatives prises par les gouvernements perdent de leur efficacité2. Dans ce contexte, les entreprises sont davantage confrontées aux risques d’esclavage moderne, en particulier au sein de leurs chaînes d’approvisionnement.

COVID-19 – Faire des droits de l’homme la priorité
La collaboration internationale est sans conteste un facteur déterminant pour surmonter la crise du COVID-19, une crise qui doit être reconnue non seulement comme une urgence de santé publique, mais aussi comme une crise des droits de l’homme aux répercussions dramatiques.
Parmi les conséquences de cette crise, nous tenions à en souligner une tout particulièrement : les entreprises de certains secteurs, notamment celui des équipements et fournitures de soins de santé, ont été contraintes d’embaucher rapidement des travailleurs pour faire face à la montée en flèche de la demande, une situation susceptible d’aggraver les risques d’esclavage moderne. A titre d’exemple, nous nous sommes rapprochés de Top Glove, un fabricant de gants en caoutchouc basé en Malaisie (un pays où les risques d’esclavage moderne sont relativement élevés) et qui a eu besoin d’au moins un millier de travailleurs supplémentaires. Les entreprises des secteurs soumis à des pressions importantes sont confrontées non seulement à des risques plus élevés d’esclavage moderne, mais aussi à des risques sanitaires. En effet, leurs travailleurs sont plus susceptibles de contracter le COVID-19 dans un contexte où les règles de distanciation sociale sont difficiles à respecter. Nous sommes intimement convaincus que les pratiques visant à améliorer le bien-être des employés et à réduire les risques de transmission du COVID-19 favorisent la continuité des activités, mais aussi qu’elles limitent les risques de réputation et de perte de confiance des consommateurs.

 

En avril 2020, le gouvernement britannique a publié des recommandations pour encourager le signalement des cas d’esclavage moderne pendant la pandémie de COVID-19, selon lesquelles: …il est essentiel que les entreprises poursuivent leurs efforts pour identifier et traiter les risques d’esclavage moderne dans leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement3.

 

Législation relative à l’esclavage moderne – les principales évolutions

Le Modern Slavery Act de 2015, la loi britannique sur l’esclavage moderne, reste l’un des textes législatifs les plus ambitieux au monde en matière d’esclavage moderne et il a sans aucun doute contribué à renforcer le devoir de vigilance sur les risques d’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement. Pourtant un rapport indépendant portant sur cette loi, publié en mai 20194, a révélé qu’un certain nombre d’entreprises considéraient leurs obligations comme un simple exercice consistant à cocher des cases, et qu’environ 40% des entreprises concernées ne respectaient pas la législation. Cette étude a également souligné qu’aucune sanction n’avait été prise jusqu’à présent à l’encontre des entreprises qui ne respectaient pas la loi, ce qui suscite de sérieux doutes quant à l’efficacité de cette dernière. Ce rapport a donné lieu à 80 recommandations parmi lesquelles certaines visent directement à renforcer le respect de cette réglementation, comme la mise en place de sanctions pécuniaires et la révocation des administrateurs.

Dans une réponse très détaillée à ce rapport, le gouvernement britannique a fait part de son intention de «procéder à des consultations afin d’étudier les différentes solutions de mise en application et de fixer un calendrier raisonnable pour que la législation soit respectée»5. La question de savoir comment réagir en cas de non-respect de ces règles a été traitée, avec force, par la législation relative à l’esclavage moderne dans d’autres pays:

 

Autrement dit, la législation relative à l’esclavage moderne continue de progresser partout dans le monde. Les entreprises, en particulier les grandes multinationales, s’exposent à de lourdes conséquences si elles n’identifient pas les risques liés à l’esclavage moderne, si elles n’y remédient pas et si elles omettent d’en rendre compte. L’engagement dans la lutte contre l’esclavage moderne revêt donc une importance croissante.

Dans le cadre de notre engagement, nous avons cherché à identifier les cas de mises en œuvre de bonnes pratiques par les entreprises «à haut risque»

En 2019 et au premier trimestre 2020, nous avons organisé 66 entretiens avec 32 entreprises ayant précisément pour thème l’esclavage moderne. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux entreprises à risque relativement élevé dans les secteurs de l’habillement, de l’automobile et des technologies de l’information et de la communication. Selon nous, ces entreprises feront l’objet d’une surveillance accrue de la part de leurs parties prenantes en raison d’une prise de conscience de plus en plus importante de la problématique de l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement. Ceci est d’autant plus vrai que certaines d’entre elles verront un renforcement de leurs obligations réglementaires.

Nous nous sommes appuyés sur les recherches de KnowTheChain, un outil destiné aux entreprises et aux investisseurs désireux de comprendre et de traiter les risques liés à l’esclavage moderne dans leurs activités directes et dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Nous avons ainsi identifié les lacunes et les nouvelles pratiques des entreprises dans leurs déclarations sur l’esclavage moderne (ou leurs équivalents). Pour ce qui est du fond, nous pensons que toutes les entreprises, indépendamment de leur localisation géographique, devraient se pencher sur les six domaines suivants mentionnés dans le Modern Slavery Act 20156 britannique:

  • Organisation et chaînes d’approvisionnement
  • Politiques en matière d’esclavage et de traite des êtres humains
  • Procédures de diligence raisonnable en matière d’esclavage et de traite des êtres humains
  • Évaluation et gestion des risques
  • Mesures concrètes prises pour lutter contre l’esclavage moderne
  • Formation sur l’esclavage moderne et la traite des êtres humains

Notre engagement et nos recherches nous ont permis de constater que les entreprises qui font preuve de transparence dans tous ces domaines ont tendance à mener des politiques plus rigoureuses pour lutter contre l’esclavage moderne.

La transparence de la chaîne d’approvisionnement favorise la responsabilité des entreprises et renforce les mesures liées au devoir de vigilance en matière de droits de l’homme.

Pour toute entreprise qui cherche à limiter les risques d’esclavage moderne, le devoir de vigilance sur la chaîne d’approvisionnement est une étape essentielle, sur le chemin de la transparence de la chaîne d’approvisionnement. Nous pensons que la transparence renforce la vigilance et démontre la volonté d’une entreprise de répondre de toute violation des droits de l’homme dans sa chaîne d’approvisionnement. Qui plus est, cette transparence peut contribuer à améliorer la réputation d’une entreprise.

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