Finance verte : un besoin de boussole

Finance verte : un besoin de boussole

Jean-Guillaume Péladan, gérant et responsable de la stratégie environnementale chez Sycomore AM

Année après année, la « vérité qui dérange », du nom du film d’Al Gore de 2006, nous rattrape un peu plus. Devant l’urgence croissante de la crise environnementale et climatique, la finance s’est lancée depuis quelques années dans une course à l’intégration des critères extra-financiers, dits ESG pour environnement, social et gouvernance. Nous avons plus que jamais besoin de boussole.

Or, dans la finance, les systèmes de notation environnementale sont très nombreux, car chaque fournisseur de données ou de services possède le sien, le plus souvent un modèle propriétaire peu transparent. Les études menées pour les comparer ne montrent en général pas de corrélation entre elles, ni avec les impacts environnementaux. Quant à la plus utilisée, l’empreinte carbone, elle produit des chiffres qui s’avèrent utiles pour les producteurs d’énergie, mais pas pour tous les autres métiers. De plus, elle est, par construction, aveugle aux externalités environnementales qui affectent la résilience des écosystèmes, l’eau, la qualité de l’air ou la biodiversité, ce qui la rend trop simpliste. Alors que faire ?

Simplifier mais pas trop

Face à ce défi, science et bon sens sont de bons guides. La science nous indique que nous savons déjà beaucoup de choses : nous avons cumulé, depuis des décennies, des informations sur les impacts environnementaux des produits et des services grâce à l’analyse de cycle de vie et à de nombreuses études indépendantes. Cette masse d’informations est de plus en plus accessible à tous grâce à des labels certifiés par des tierces parties, visibles jusque sur les produits que nous achetons, sous l’œil vigilant des ONG. Ainsi, nous savons que prendre l’avion fait exploser notre bilan carbone personnel, qu’il est préférable de prendre son vélo ou les transports en commun, qu’il vaut mieux manger des lentilles que du bœuf, etc. Le bon sens nous dit qu’on devrait arriver à produire une boussole pour les investisseurs pour distinguer le vert du gris ou du marron, et même les 50 nuances de vert qu’appelle de ses vœux le très emblématique Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney.

La NEC pour Net Environmental Contribution est née en 2015 de cette démarche. Elle agrège les informations disponibles sur les principaux impacts environnementaux d’une activité économique pour produire un indicateur permettant de mesurer simplement le degré d’alignement de cette activité avec la transition environnementale sur une échelle unique graduée de -100% à +100%. Le 0% correspond à la moyenne de ce que l’économie mondiale offre et aussi aux activités économiques qui ont un impact environnemental limité telles que la santé ou la communication.

Le +100% correspond aux activités à fort impact environnemental alignées avec la transition et avec les objectifs internationaux de lutte contre le réchauffement climatique : la réutilisation et le recyclage, une bonne partie des énergies renouvelables, les légumes bio, le train, le vélo, les transports en commun ou l’auto-partage, les maisons en bois bien isolées, etc. A contrario, le – 100% correspond aux activités à fort impact environnemental qui font obstruction à la transition environnementale et climatique : l’extraction du charbon et ses utilisations énergétiques, l’exploitation de sables bitumineux et du pétrole de schiste, l’élevage intensif de bovins, le transport aérien courte distance, etc. Entre les deux s’échelonnent toutes les nuances de vert pour les NEC positives et les nuances de marron pour les négatives.

Ce qui n’est pas mesuré n’est pas géré

La NEC mesure donc la contribution environnementale nette à un instant donné pour une activité économique donnée. Elle constitue donc un outil de transparence et de conformité. En prenant en compte les informations disponibles sur les principaux impacts environnementaux, elle mesure de façon plus complète le degré d’alignement à la transition verte. Elle évalue les risques et les opportunités de transition, ce qui fait partie du travail de base d’un investisseur. Elle permet aussi de rendre des comptes en publiant les NEC des produits financiers et de leurs indices de référence, notamment dans le cadre des recommandations internationales de la TCFD (Taskforce for Climate-related Financial Disclosures) ou de l’article 173 de la loi française sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte.

La NEC permet aussi de structurer le dialogue avec les entreprises investies en questionnant leur positionnement stratégique et leur trajectoire. Enfin, la NEC sert également à asseoir des stratégies d’investissement responsable et d’impact investing, en permettant de trier les actifs sélectionnés, comme dans le fonds actions Sycomore Eco Solutions, le premier en France à recevoir le label Greenfin, et où seules les entreprises à NEC strictement positives sont éligibles. Chez Sycomore AM, la NEC est systématiquement intégrée dans l’analyse extra-financière et dans les reportings depuis 2018.

Le choix de la coopération ouverte à tous

Pour développer notre outil, nous avons décidé dès 2018, avec nos partenaires Quantis et I Care & Consult, d’ouvrir notre démarche à tous les pionniers en lançant l’Initiative NEC. Accessible à tous sur www.nec-initiative.org depuis septembre 2019, il s’agit d’une plateforme précompétitive permettant de partager et mutualiser l’effort de publication, de R&D, de pédagogie, de formation et de mise à jour. Elle est ouverte à tous les acteurs de la finance, aux institutions comme l’OCDE, aux chercheurs, aux ONG, et aux entreprises elles-mêmes, qui veulent établir leurs NEC actuelles et futures. Plus les modèles d’affaires sont compacts, plus la NEC est simple à calculer. Ceci facilite considérablement son utilisation par les petits projets et les PME, qui représentent la majorité de l’économie et concentrent beaucoup de contributeurs à la transition environnementale. Notre conviction est qu’une métrique n’a d’avenir que si elle est transparente, globale et open source et que la coopération n’est plus une option, mais une nécessité.

Références

Arnault, P. et al. (2018), Is the transition risk material? Testing the Net Environmental Contribution™ metric on a universe of listed European equities, https://nec-initiative.org/publications-2/

Carney, M. (2019), Remarks given during the UN Secretary General’s Climate Action Summit 2019, https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2019/remarks-given-during-the-un-secretary-generals-climate-actions-summit-2019-mark-carney.pdf

Hawley, J. (2017), ESG Ratings and Rankings: All over the Map. What Does it Mean?, https://www.truvaluelabs.com/wp-content/uploads/2017/12/ESG-Ratings-and-Rankings-All-Over-the-Map.pdf

Le reporting extra-financier des investisseurs : Le cadre réglementaire français, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/reporting-extra-financier-des-investisseurs

Sustainable finance for investing in a low-carbon European electricity sector, http://www.ceem-dauphine.org/assets/dropbox/CEEM_Conference_Sustainable_Finance_in_the_Electricity_Sector%2C_Dauphine%2C_230919.pdf

Task force on climate-related financial disclosures, https://www.unepfi.org/climate-change/tcfd/

http://m.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/4336/Finance_verte_:_un_besoin_de_boussole.html