Le bureau de la plateforme RSE adopte sa contribution aux plans droits de l’homme et RSE

Le bureau de la plateforme RSE adopte sa contribution aux plans droits de l’homme et RSE

Par Ana Lutzky (AEF)

“Tout le monde est soulagé”, réagissent auprès d’AEF plusieurs membres de la plateforme RSE. Réuni jeudi 21 juillet 2016 dans la soirée, le bureau, en présence des corapporteurs des deux plans nationaux portant sur les droits et l’homme et les entreprises d’une part, et la RSE d’autre part, a finalement abouti à une rédaction consensuelle, les points restants de désaccord étant mentionnés dans le texte. L’instance de concertation et de réflexion placée auprès du Premier ministre, qui réunit syndicats, ONG, pouvoirs publics, experts et représentants économiques, avait vu les positions de ses membres se crisper lors de sa plénière, le 5 juillet dernier. Le désaccord entre le pôle économique et celui réunissant la société civile, soutenu par ceux des syndicats et des experts, avait abouti au report de l’adoption des deux plans par le bureau ce jeudi, avant la trêve estivale.

Les deux contributions aux plans nationaux adoptés par le bureau de la plateforme RSE doivent être présentées au Premier ministre, à l’issue d’une plénière qui devrait se tenir le 12 septembre. Le gouvernement doit transmettre ses deux plans nationaux à la Commission européenne.

COMMENT LE GOUVERNEMENT TRANCHERA SUR CES PROPOSITIONS

“Les discussions ont été nourries, il est dommage que certaines propositions consensuelles aient finalement fait l’objet de divergences, mais on est arrivé à faire ce que tout le monde voulait, et les ONG sont particulièrement satisfaites du renvoi aux ODD et aux plans de vigilance”, souligne Sylvain Boucherand, vice-président de la plateforme pour le pôle de la société civile. “En reconnaissant l’existence de divergences de vues sur la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme, comme en matière de conceptions de la RSE, la plateforme gagne en maturité. Restera à voir ce que les pouvoirs publics feront de ces contributions : retiendront-ils les propositions consensuelles en laissant de côté les dissensus ? Ou bien iront-ils jusqu’à se positionner sur tout ou partie des dissensus ?” réagit Éric Loiselet, corapporteur de la contribution de la plateforme pour le plan national RSE joint par AEF.

“Sur des enjeux comme le devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement, la responsabilité fiscale des entreprises, l’élargissement du reporting extrafinancier aux enjeux du climat, les pouvoirs publics, au niveau politique, ont su prendre des positions qui ont ouvert des voies, fait bouger des lignes. Nul doute qu’ils peuvent poursuivre avec le même esprit”, espère-t-il. La présidente de la plateforme, Hélène Valade, salue également “les efforts de chacun” ayant mené au bureau conclusif jeudi.

12 RÉUNIONS SUR LES DROITS DE L’HOMME ENTRE NOVEMBRE ET JUIN

L’élaboration du “plan national d’application des principes directeurs des Nations unies pour les droits de l’homme et les entreprises” a donné lieu à douze réunions du groupe de travail concerné (entre novembre 2015 et juin 2016). Le document de 70 pages arrêté par les participants reprend la trilogie des “principes de Ruggie” : responsabilité primordiale de l’État, responsabilité des entreprises dans leurs actions, et mesures donnant accès à des réparations. Il présente pour chacun des trois piliers les principes eux-mêmes, les recommandations émises par la CNCDH et par la plateforme, puis l’action déjà menée en France et enfin les recommandations pour renforcer cette application.

Deux points qui étaient dissensuels ont été intégrés par le bureau comme un élément finalement consensuel entre les parties :

le soutien de la France à un règlement contraignant sur la question des minerais issus de zones de conflit ou à haut risque ;
la faculté d’autosaisine du PCN, sur décision unanime du PCN, afin de faire respecter les droits de l’homme et pour la mise en œuvre des principes de l’OCDE.
En outre, une analyse de la Chancellerie a modifié les formulations du rapport sur le déni de justice et les possibilités de recours, afin de sécuriser juridiquement le document, répondant à une inquiétude du pôle économique (lire sur AEF). Les recommandations consensuelles vont du secret des affaires au rôle des agences d’aide à l’export, en passant par les ODD, la commande publique, les accords de libre-échange, les plans d’entreprises sur les droits de l’homme et le reporting, les voies de recours si aucune enquête n’est ouverte à la suite d’une plainte déposée par une victime d’un délit commis par un Français à l’étranger, ou encore le rôle des représentants du personnel.

DROITS DE L’HOMME : LE POINT SENSIBLE ENTRE “HARD LAW” ET “SOFT LAW”

Le principal dissensus qui a traversé l’ensemble des réunions du groupe de travail porte sur les modalités volontaires ou contraignantes de l’encadrement des entreprises multinationales pour respecter les droits de l’homme.

Pour le pôle société civile et le pôle syndical, il est nécessaire d’instaurer un régime de responsabilité civile, et éventuellement pénale, et de créer une obligation de vigilance pour les sociétés mères et donneuses d’ordre françaises. Les deux pôles soulignent également la portée extraterritoriale du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et appellent l’État à s’en saisir. Pour ces pôles, il s’agit “d’atténuer le principe de l’autonomie de la personnalité juridique” et “d’envisager de reconnaître juridiquement le groupe de sociétés en droit français lorsque des violations de droits de l’homme surviennent”. En outre, l’État français doit selon eux au minimum appliquer et faire appliquer les principes directeurs des Nations unies aux entreprises dans son périmètre et aux produits arrivant sur son marché.

Pour le pôle économique, les “entreprises reconnaissent la responsabilité qui peut être la leur par les dommages qu’elles peuvent occasionner par leurs activités”, toutefois elles considèrent que les initiatives volontaires et le partage de bonnes pratiques sont des voies à privilégier, “même si une intervention de l’État ou de la loi peut être nécessaire et justifiée sur certains points spécifiques, dans le cadre du respect des principes généraux du droit français”. Plaidant pour des règles homogènes à l’échelle européenne et internationale, le pôle économique précise que s’il n’est pas opposé par principe aux cadres contraignants, son opposition porte sur “des modalités d’encadrement dont la mise en œuvre s’avérerait purement punitive”.

Pour le pôle chercheurs et développeurs, la protection effective des droits de l’homme implique souvent une juridicisation de la responsabilité sociétale des entreprises. Un tel processus s’enrichit également des bonnes pratiques volontaires et bénéficie d’interactions.

134 PAGES POUR UN PLAN NATIONAL RSE CONSTRUIT DE ZÉRO PAR LES PARTIES PRENANTES

Deuxième document adopté jeudi, la contribution au plan national RSE. Contrairement au plan droits de l’homme, dont une rédaction avait été réalisée au préalable dans le cadre de la CNCDH avant d’être examinée par les membres de la plateforme, le plan RSE a été bâti de bout en bout par les participants à l’instance de concertation. Travaillé depuis 18 mois, il était déjà prêt à être adopté le 5 juillet dernier. Trois points de dissensus subsistent, relatifs à l’extension de la protection des lanceurs d’alerte sur les sujets de droits humains, le reporting public pays par pays, ou encore les accords de libre-échange et l’OMC.

Ce rapport liste les principales recommandations pour une stratégie nationale de RSE, allant du dialogue social à la transition énergétique, en passant par la finance, le reporting, la chaîne de valeur et d’approvisionnement, le cadre comptable, les PME, la formation et la recherche ou le commerce international.

Dans deux documents en annexe du document de 134 pages, le pôle économique et le pôle société civile ont tenu à exprimer leurs visions respectives de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le premier met l’accent sur la compétitivité, la dynamique RSE en France et les engagements volontaires des entreprises. Le second met l’accent sur le cadre institutionnel, la régulation, et la sphère de responsabilité des entreprises sur leurs impacts qui s’étend au-delà de leur nature juridique.

RAPPORTEURS NOMMÉS POUR LES GT DE LA RENTRÉE

Les rapporteurs des deux groupes de travail qui seront lancés en septembre ont par ailleurs été annoncés aux membres du bureau. Il s’agit de Geoffroy de Vienne (CFTC, pôle syndical) et Alain Pierrat (UIC, pôle économique) pour celui portant sur RSE et environnement, dont les travaux de préfiguration ont été animés par Sylvain Boucherand. Ce groupe de travail devrait notamment se pencher sur la commande du Premier ministre faite à la plateforme d’examiner les engagements des entreprises suite à la COP 21.

Par ailleurs, Sabine Gagnier (Amnesty international, pôle société civile) et Brigitte Dumont (ANDRH, pôle économique) seront rapporteures du groupe de travail sur les relations responsables entre donneurs d’ordre et fournisseurs. Installé sous forme restreinte le 12 février dernier, avec pour préfigurateurs Pierre-Yves Chanu (vice-président, CGT), Élisabeth Gambert (Afep, pôle économique) et Ghislaine Hierso (Les petits débrouillards, pôle ONG), il doit notamment se pencher sur le devoir de vigilance et les achats responsables.